Le quotidien
Le temps particulièrement pluvieux de ce début octobre n’incite pas aux promenades en vélo. Je vais donc réoccuper mon sous-sol. J’y ai en effet aménagé un espace clos dans lequel j’ai installé quelques appareils : un vélo d’appartement, un rameur et un banc de musculation. Cela permet de se maintenir en forme pendant la longue période hivernale durant laquelle les activités sportives extérieures sont plus difficiles à pratiquer le soir en rentrant du travail lorsqu’il fait nuit et que le temps est frais et humide. Je me contente de la pratique du vélo et du rameur ; il y a bien longtemps déjà que j’ai délaissé le banc de musculation qui sert davantage à mes enfants. Il est peu gratifiant de faire de longues séances seul et enfermé dans un sous-sol ; le temps semble passer très lentement et rien ne permet de faire oublier l’effort. Aussi ai-je installé un vieux poste de télévision à tube cathodique qui apporte un surplus de motivation. Certes c’est loin d’égaler les sorties en plein air, mais c’est mieux que l’inactivité. Une activité sportive régulière, même si elle n’est pas très intense, apporte un peu de dynamisme, surtout dans une période d’asthénie en raison de la chimiothérapie. Je n’arrive guère à dépasser des séances d’une trentaine de minutes, en alternant vélo et rameur, malgré tous les artifices destinés à accroître la motivation. J’utilise depuis de très nombreuses années un cardio-fréquencemètre, appareil que j’ai découvert lorsque je pratiquais la course à pieds, me permettant de limiter mes efforts à un rythme d’endurance peu éprouvant et idéal pour l’entretien de la forme. La seule chose qui me préoccupe, c’est le rameur. Il me provoque de légères douleurs dans le bas du dos, et suis très attentif à cette région du corps depuis ma sciatique. S’agit-il de simples douleurs musculaires dues à un manque d’entraînement ? Dans le cas contraire, il me faudra sans doute abandonner cet appareil pour ne pas risquer d’aggraver mes problèmes vertébraux.
Mardi 5 octobre, jour de travail en classe. J’éprouve un moment très difficile en début d’après-midi, avant de retrouver les élèves ; je suis à la limite de la défaillance. Je réussis toutefois à tenir l’après-midi, ma forme s’améliorant légèrement en cours de journée.
Jeudi 7, je suis particulièrement tendu. Comme le temps est couvert mais doux et sans menace de pluie, je me décide à faire une sortie en vélo que je mène à bon train, le « nez dans le guidon », étant incapable de prendre mon temps pour apprécier le paysage. Je passe une côte assez raide que je monte en force, très essoufflé. Je parcours ainsi 21 km à une moyenne de 19,4 km/h, avec un vélo un peu plus chargé que les précédentes sorties puisque, dans l’impossibilité de me retourner vers mon entourage en cas de problème mécanique car tous sont au travail, je me suis muni de tout le nécessaire de dépannage. Cette tension nerveuse est restée palpable toute la journée, notamment dans la maladresse de mes gestes ce qui m’a conduit à me couper deux fois en faisant la cuisine le midi. Le soir j’éprouve le besoin de prendre un léger anxiolytique pour m’assurer une nuit correcte avant d’affronter la classe le lendemain. J’ai craint que mes efforts physiques ne se fassent ressentir au travail, mais il n’en a heureusement rien été et la journée s’est finalement mieux passée que celle du mardi, avec cependant un peu de difficultés à animer correctement la classe dans le milieu de l’après-midi.
Samedi soir est prévue une rencontre entre le groupe de musique du frère de Christiane, Tec’Hadenn, et le groupe de musique dans lequel je joue du bouzouki, Celtin’Paotr. Les musiciens de Tec’Hadenn se produisent dans le Trégor et jouent de la musique bretonne en fest noz. Ils avaient organisé un week-end détente dans la région de Paimpont et nous ont proposé de les rejoindre pour « faire un bœuf » entre musiciens. Nous nous sommes donc retrouvés au gîte de Tréhorenteuc à l’heure de l’apéritif pour débuter les festivités musicales. Un groupe d’une dizaine de personnes présentes au gîte a pu profiter de l’ambiance et s’adonner au chant et à la danse en nous servant de public. Tout au long de la soirée ont alterné danses traditionnelles bretonnes et d’ailleurs, musique irlandaise , chants de marins, et même musique country. Sans doute stimulés par l’ambiance régnante, quelques spectateurs ont exagérément arrosé le repas et ont ainsi pu danser toute la soirée d’une façon certes peu académique, mais sans inhibition !
Durant tout le mois d’octobre je serai dans un état asthénique assez marqué. J’appréhende les jours de travail en classe, et m’y rends à reculons. J’ai fait grève le 12 octobre, peut-être davantage pour m’octroyer une journée de repos supplémentaire que par conviction que les journées d’action sporadiques puissent être efficaces, et je me suis contraint à aller manifester malgré les probables douleurs au dos que provoqueront les stations debout prolongées et les piétinements. Il me faut véritablement me faire violence pour entreprendre toute activité. Je ne touche pratiquement plus à mes instruments de musique, faute d’envie et de plaisir à jouer. Profitant de l’été indien de la mi-octobre, je me suis livré à des activités de jardinage : j’ai passé au broyeur de végétaux nos tailles de haie pour en faire du compost. J’y ai consacré environ deux heures deux jours de suite, et bien que cette tâche ne soit pas considérablement éprouvante, elle nécessite de se baisser et se relever très fréquemment. Ces efforts musculaires m’ont fatigué et ont accru les douleurs au dos que je pense être surtout musculaires, ce qui serait normal et peu inquiétant.
Les périodes où l’on n’a goût à rien, ou tout vous indispose sont difficiles à supporter. Il me faut admettre que ce sont les conséquences de la maladie et du traitement, l’accepter et patienter en espérant des jours meilleurs.
Ma dernière analyse sanguine révèle une nouvelle baisse importante du taux de globules blancs. L’oncologue a donc décidé de réduire à nouveau le dosage de la chimiothérapie, le faisant passer de 300 mg à 200 mg par jour. Ceci n’est pas pour me rassurer ; le traitement initial était à 400 mg, le voilà donc réduit de moitié. Son efficacité contre le risque de récidive n’en sera-t-elle pas considérablement amoindrie ?
Depuis quelques jours mon moral est bas, sans raison objective. Je ne parviens pas à aller me coucher le soir, et traîne devant mon ordinateur de façon obsessionnelle, addictive, jusqu’à des heures avancées de la nuit. Est-ce la peur du lendemain ? L’heure de lever est décalée d’autant, ce qui ne contribue pas à établir un équilibre de sommeil pourtant souhaitable et nécessaire. Je me suis astreint à une sortie en vélo un après-midi où le temps le permettait, pensant que cet exercice physique me ferait le plus grand bien. Mais je n’y ai pris aucun plaisir, et n’ai fait qu’une vingtaine de kilomètres. Mes réactions avec mon entourage sont disproportionnées, je prends mal toute remarque désobligeante. Je virevolte d’une activité à l’autre, m’accrochant à la moindre étincelle d’envie, sans que cela ne réussisse à entretenir la flamme bien longtemps. La seule chose qui m’occupe suffisamment, ce sont les recherches et le suivi de l’actualité sur Internet, qui meublent des heures passées devant l’ordinateur et me permettent de ne pas voir le temps passer. Je suis véritablement prostré, dans un état de totale apathie. Tout acte de la vie quotidienne est un combat : il me faut me faire violence pour me laver, me raser, faire à manger (ne parlons même pas de cuisine !). Ce qui est paradoxal, c’est que mes capacités physiques ne semblent pas trop atteintes : je m’impose et réussis à faire un minimum d’activités physiques régulières. Ce qui me fait défaut, ce sont l’envie et l’énergie.
J’ai retrouvé un peu de forme ce lundi 25 octobre ; j’ai procédé le matin à l’évacuation à la déchetterie des cartons et autres déchets encombrant mon sous-sol depuis plusieurs semaines, et ai effectué deux heures de travaux de jardinage l’après-midi. Deux tâches somme toute insignifiantes pour le commun des mortels, mais un véritable exploit en ce qui me concerne compte-tenu de mon apathie des deux dernières semaines. Espérons que ce soit l’annonce de jours fastes ! Si le temps veut bien se mettre de la partie, je pourrai envisager quelques promenades en vélo. J’ai découvert qu’il m’était possible de programmer sur mon ordinateur des itinéraires à partir de la carte de mon GPS, pour ensuite les installer sur l’appareil. Voilà une motivation supplémentaire pour sortir explorer petites routes et chemins cyclables autour de chez moi, et donc m’oxygéner et me faire faire de l’exercice de façon un peu plus soutenue et prolongée que dans mon sous-sol.
En ces journées fraîches et grisâtres des vacances de la Toussaints, j’ai trouvé une occupation peu éprouvante et motivante convenant parfaitement à mon état de forme du moment. Dans la perspective du retour des beaux jours du printemps, j’ai entrepris de réaliser un recueil d’itinéraires cyclistes que je pourrai utiliser avec mon GPS. Je disposais de quelques fiches obtenues sur Internet proposant des promenades à vélo, mais aux parcours difficiles à suivre en raison de la piètre qualité des reproductions cartographiques les accompagnant. Je trace donc en détail le circuit sur mon ordinateur à l’aide d’un logiciel visualisant la carte de mon GPS, et les enregistre dans un format lisible par l’appareil. Il nous sera ainsi possible de suivre les parcours avec précision, sans risque de manquer les lieux intéressants, et sans être contraints de nous arrêter à chaque carrefour pour faire le point sur une carte routière. Nous pourrons nous consacrer au seul plaisir de la découverte des paysages et des sites que nous rencontrerons.
Mardi 26 octobre nous sommes allés dans un magasin de musique à proximité de Rennes afin d’y essayer des guitares. Ma fille m’a demandé de lui apprendre à en jouer et il lui faut donc s’équiper. Comme son budget est limité, il nous faut explorer les premiers prix. Si certains des instruments proposés étaient de piètre qualité, j’ai été surpris par le rendu sonore de quelques autres à ce niveau de prix ; nous repartirons avec une guitare de 235 euros au son chaleureux, relativement puissant et équilibré sur lequel j’ai éprouvé du plaisir à jouer. Cette escapade musicale m’a en outre redonné goût à l’instrument que j’ai retravaillé les jours suivants.
Jeudi 28 octobre. La température extérieure est douce, le temps nuageux sans menace pluvieuse. Vers 14 h je me décide à partir en vélo explorer quelques chemins autour de mon domicile. Je prépare rapidement sur mon ordinateur un circuit de 13 km empruntant des sentiers visibles sur la carte et dont je veux vérifier s’ils sont accessibles aux VTC. Ce sera aussi l’occasion d’apprécier sur le terrain si mon GPS est capable de me guider sans erreur. Une fois lancé, je ne me préoccupe plus du chemin à suivre et me laisse totalement guider par l’appareil. Je peux en toute quiétude profiter du paysage sans me préoccuper du tracé et éprouve du plaisir à la découverte de nouveaux trajets qu’il m’aurait été beaucoup plus compliqué de repérer sur une carte papier au 1/25 000ème sans devoir fréquemment m’arrêter. J’avoue être conquis par mon système de géo-localisation et ses possibilités. Lorsque j’en ai fait l’acquisition j’espérais bénéficier de toutes ces fonctionnalités sans en être très sûr compte-tenu de mon ignorance dans ce domaine technique. Mon seul regret est de ne pas avoir fait cette découverte plus tôt, ce qui nous aurait certainement permis de profiter davantage de nos vacances en vélo les années précédentes. Cela va me motiver pour affronter des sorties hivernales lorsque la douceur du temps le permettra.
Le vendredi soir nous avons une répétition du groupe Celtin’Paotr afin de préparer un concert le 13 novembre. Je m’y rends sans avoir véritablement travaillé le bouzouki et le répertoire depuis deux semaines. Cette séance de travail me redonne goût au jeu et relance ma motivation. Les contraintes des concerts sont un stimulant très efficace pour les musiciens, et cela me manquait. Le peu de dates programmées depuis la rentrée a certainement contribué à ma faible appétence pour le travail musical ces dernières semaines.
J’ai connu une journée remarquable en ce jour de reprise de travail après les vacances de la Toussaints : pour la première fois depuis le début de l’année scolaire, je n’ai pas ressenti d’appréhension en me rendant à l’école, et la journée s’est déroulée sans que je ressente la moindre lassitude ou fatigue. L’après-midi un épisode de stress soutenu en raison d’une difficulté à gérer les nombreuses sollicitations individuelles d’élèves de CE2 dans le cadre d’un échange de service n’a pas eu de conséquence sur mon état de forme. Le soir, après être rentré à la maison, je disposais de suffisamment d’énergie pour me permettre de faire d’autres activités et ne pas être contraint de m’affaler dans un fauteuil, prostré. En somme une journée normale, telle que la connaît toute personne en bonne santé, mais ma première journée normale depuis bien longtemps, qui m’a permis de retrouver des sensations positives : j’ai entrevu la possibilité de retrouver un rythme de vie et de travail habituel, sans la crainte d’une reprise future du travail à temps plein que je ne me sentais pas encore en mesure d’envisager jusque là. J’avais fini par oublier qu’il était possible de travailler une journée complète en classe sans être vidé le soir. Mon seul désagrément du moment ce sont les crampes et douleurs musculaires, connues comme un effet secondaire possible du traitement. Je m’adonne donc aux boissons tonic à base de quinine, réputées bénéfiques contre de tels symptômes.
Je suis en meilleures forme en ce mois de novembre : moins d’apathie, plus d’envies. J’ai réinvesti mes instruments de musique, mais de façon minimale, qui ne permet pas de progresser, simplement d’éviter de trop régresser. Je m’astreins avec plaisir à des activités physiques régulières les jours où je ne travaille pas en classe. Dans mon sous-sol, je me suis concocté un programme de travail variant les activités afin d’entretenir la motivation : cardio-fréquencemètre en alternant vélo d’appartement, rameurs, flexions, step ; musculation des bras, abdominaux et dorsaux et enfin étirements pour les assouplissements musculaires. J’alterne également les dérivatifs : émissions télévisées pour accompagner vélo et rameur et musique rythmée pour accompagner les autres exercices. Le Reggae s’adapte parfaitement à mes besoins ; cette musique que j’adore incite au mouvement, et ses tempi sont adaptés à mon rythme pour les mouvements répétitifs. Je me connecte à un site en ligne proposant des radios thématiques, et je dispose ainsi d’heures entières de programmation.
Suite à ma dernière analyse sanguine je dois interrompre à nouveau mon traitement durant une semaine ; le taux de globules blancs est de nouveau trop bas. Les résultats de la semaine suivante décideront de la suite à donner.
Le samedi 13 novembre le groupe de musique dans lequel je joue se produit en concert en compagnie de deux autres groupes pour une soirée irlandaise. Mon fils cadet, qui envisage la carrière d’ingénieur du son, a la responsabilité de sonoriser la soirée, ce qui lui apportera une riche expérience dans un domaine où la pratique importe autant, sinon plus, que le niveau d’études. Je le seconde dans cette tâche. Durant les jours précédents je me suis chargé de glaner le complément de matériel nécessaire car nous ne sommes équipés que pour la sonorisation de notre groupe dans des lieux aux dimensions modestes. Là il nous faut assurer la diffusion sonore pour un public d’environ 200 personnes dans une salle polyvalente et pour trois groupes nécessitant chacun de 7 à 11 entrées instruments ou voix, ce qui exige d’autres moyens.
Nous arrivons sur place dès 16 heures pour commencer l’installation. Les deux premières heures nous sont nécessaires pour la mise en place du matériel, les branchements et la vérification du bon fonctionnement. Les deux heures suivantes seront consacrées aux balances, c’est-à-dire aux réglages nécessaires pour chaque groupe : connexion de chaque voix ou instrument à la console de mixage, réglage du rendu sonore, puis réalisation de l’équilibre général entre toutes les voies musicales du groupe. Il faut enfin régler les retours, c’est-à-dire permettre aux musiciens du groupe de disposer d’un système propre de sonorisation permettant à chacun d’entendre ce qu’il joue.
Les Celtin’Paotr débutent le concert entre 20 heures et 20 heures 30. L’inconvénient dans des concerts de cette importance c’est le niveau sonore, qui est tel qu’il est impossible d’entendre son instrument en acoustique pendant que l’on joue. L’on est contraint de s’appuyer uniquement sur le son renvoyé par les retours de sonorisation, mais mon bouzouki est à peine audible, et je dois jouer sans pratiquement m’entendre, ce qui est particulièrement difficile et frustrant. Dans la semaine qui suit je décide donc de me bricoler un système de retour individualisé pour faire face à de telles situations. Dans une caisse à vin en bois que je transforme en coffret capitonné à l’aide de polystyrène expansé, j’installe un boitier de prise de son et une petite console, le tout pré-connecté, ce qui me permettra de disposer d’une écoute personnalisée de mon seul instrument grâce à une oreillette intra-auriculaire.
Vendredi 19 novembre, les résultats de mon analyse sanguine imposent la prolongation de la suspension de mon traitement durant deux nouvelles semaines ; le taux de globules blancs n’a pas remonté.
Nos trois enfants se partagent une vieille Opel Corsa âgée de près de 20 ans. Ils se déplacent essentiellement grâce aux transports en commun, mais ont occasionnellement besoin d’un véhicule leur permettant d’effectuer leurs gros achats en grande surface, et pour le retour à la maison le week-end lorsqu’ils sont trop chargés en linge sale pour prendre le train ou le bus. Depuis quelques mois l’usage de cette voiture est devenu hasardeux par temps de pluie en raison d’un fonctionnement défectueux des essuie-glace : les tiges d’actionnement se déboitent des articulations et des réparations chez un garagiste auraient impliqué des coûts trop importants. Aussi avais-je bricolé un maintien par élastique ou morceau de chambre à air, plus solide. Mais avec le temps ce dépannage s’est avéré insuffisant, provoquant un affaiblissement d’une autre partie du système. Finalement le véhicule est devenu inutilisable par temps pluvieux et reste immobilisé sur Rennes depuis plusieurs semaines en raison du mauvais temps. Ce dernier week-end de novembre les enfants ont enfin pu le ramener sur Montfort. Je décide donc de m’attaquer sérieusement au problème en m’intronisant mécano. Je démonte tout le système d’essuie-glace constitué de deux tiges entraînées par des axes excentrés permettant la transformation du mouvement de rotation en mouvement de translation. Les tiges sont emboitées sur des rotules assurant l’articulation, mais avec le temps et l’usure elles ne tiennent plus en place. Je perce donc de part en part les rotules et assure la fixation par un boulon en lui laissant une liberté de mouvement tout en assurant le blocage grâce au principe « écrou contre-écrou ». En remettant ensuite le système en place je constate un fonctionnement très ralenti des essuie-glace. Pensant à des frottements trop importants au niveau des articulations, je consacre plus d’une heure à affiner les positionnements, serrages, modulations de jeu d’articulation, lubrifications, sans parvenir à résoudre la problème, le fonctionnement paraissant même de plus en plus lent et difficile jusqu’à ce que je m’aperçoive… que la batterie était à plat ! Après l’avoir laissée en charge toute la nuit, je peux me réjouir le lendemain de l’efficacité de ma réparation. Ces petits détails anodins de la vie courante ne sont pas insignifiants dans mon état : ils contribuent à renforcer le moral en nous démontrant le maintien de notre capacité à résoudre des problèmes du quotidien
L’une de mes principales difficultés quant à ma capacité à retravailler réside dans le stress qu’engendre la multiplication des tâches. Je me sens vite débordé et doute de mon aptitude à les assumer. En ce mois de décembre où s’accroissent les contraintes professionnelles avant les vacances de fin d’année, même mon mi-temps m’apparaît pénible tant les jours de congés ne me laissent pas de véritable repos intellectuel en raison des mille petites choses concrètes auxquelles il faut penser pour la classe.
Ce premier samedi de décembre, je me couche beaucoup plus tôt qu’à mon habitude, dans un état d’esprit très particulier que je n’avais plus connu depuis fort longtemps ; un état d’esprit où l’on accepte et prend plaisir à l’abandon du corps pour laisser la pensée vagabonder, oublieuse de toute inquiétude matérielle, de tout souci du quotidien, à la recherche d’idées créatives qui permettent d’aborder l’avenir avec optimisme. Pourtant la journée ne s’y prêtait pas. D’origine champenoise, mes parents se fournissaient en Champagne depuis des décennies auprès d’un petit producteur au travail soigné pratiquant la vente directe aux particuliers. Poursuivant la tradition, j’effectue une fois par an une commande conséquente car je fais profiter mon entourage de cette opportunité d’obtenir un vin à l’excellent rapport qualité-prix. C’est l’occasion de revoir les amis et anciens contacts, clients habituels, que les circonstances de la vie nous ont fait perdre de vue, et de partager quelques moments autour des nouvelles de la vie des uns et des autres. Dans l’après-midi, deux amis sont ainsi venus me rendre visite, l’un enseignant dans le secondaire, l’autre ancien collègue de travail du primaire. Le premier, professeur de mathématiques en lycée, autrefois très motivé par son métier, regorgeant d’énergie, entreprenant et toujours impliqué depuis très longtemps dans de nombreux projets, vient de se mettre en cessation progressive d’activité, sans doute l’un des derniers salarié à pouvoir bénéficier de ce dispositif. Il s’avoue complètement démobilisé par les conditions d’enseignement actuelles, avec le sentiment de réformes incessantes et ineptes lui interdisant de faire son travail convenablement. Le second, directeur d’une école où j’ai enseigné durant dix-sept ans, se dit également complètement découragé par les conditions d’enseignement et n’a plus foi dans son travail. Il envisage très sombrement un avenir où il devra venir travailler sans envie alors que l’âge de départ à la retraite ne fait que reculer, sentiment que semblent partager plusieurs personnes de son entourage de même génération. Comment tenir psychologiquement et physiquement jusqu’à un âge retardé dans une profession de plus en plus éprouvante nerveusement, dévoratrice d’énergie, quand on ne dispose plus de l’énergie nécessaire ! Il m’apprend également la situation dramatique d’une collègue de l’école, avec laquelle j’avais autrefois travaillé, dont le mari est atteint d’une tumeur maligne au cerveau avec un pronostic vital très incertain. Ce désarroi partagé par d’autres m’a renvoyé à la précarité de ma propre situation que mes préoccupations professionnelles m’avaient fait oublier. Mais cette précarité a ses effets positifs : elle contribue à relativiser les petits tracas quotidiens et professionnels qui paraissent bien futiles, et incite à plonger dans ce que la vie peut nous offrir de meilleur en profitant pleinement des moments présents. Peut-être également retrouvé-je un peu d’énergie en raison de la suspension de mon traitement qui, je viens de l’apprendre, se prolongera de deux nouvelle semaines, le taux de globules blancs refusant encore de remonter. C’est donc dans cet état d’esprit que je me hasarde à des projets d’activités et d’avenir sur le court et moyen termes, ce dont j’étais incapable cette dernière année. Je me sens disposé à prendre ma retraite dès l’an prochain, mon âge me le permettant, quelle qu’en soit le coût, car je sais que « grâce » aux diverses « réformes » le montant de celle-ci sera bien maigre. Je me sens prêt à envisager des solutions complémentaires provisoires de rentrée d’argent le temps d’assurer financièrement les études des enfants si nécessaire.
Mon moral est en berne ce mardi jour de travail en classe et la journée en a été d’autant plus éprouvante. Je pensais pouvoir prendre ma retraite en fin d’année scolaire prochaine, puisqu’il était annoncé que la prolongation de l’âge légal de départ se ferait progressivement à raison de 4 mois par an. Etant du mois de février, les instituteurs ayant l’obligation de ne partir qu’en fin d’année scolaire, une prolongation de 4 mois n’aurait pas eu d’incidence. Or ce n’est pas de 4 mois que je devrai prolonger mon activité, mais de 8 mois. En effet, la première prolongation a lieu au 1er juillet 2011, mais l’étape suivante n’intervient pas un an après, en juillet 2012, mais au 1er janvier 2012, soit 6 mois après. Je ne peux donc partir qu’en octobre 2012, et compte-tenu de l’obligation de terminer l’année scolaire, me voilà contraint d’effectuer une année complète pour un mois et demi !