La musique moderne - 1ère moitié du XXème siècle
De nouvelles voies
A la fin du XIXème siècle des compositeurs tentent d’explorer de nouvelles voies dans la composition musicale. Se dégagent ainsi quelques lignes directrices fortes dans la manière de concevoir la musique.
Remise en cause du système tonal
Depuis la Renaissance, la musique occidentale est fondée sur ce que l’on appelle le système tonal avec un ensemble de règles et de lois régissant la manière d’écrire des mélodies et de les harmoniser.
Complément sur le système tonal
Le système tonal est caractérisé par un ensemble de 7 notes, dont notre fameuse gamme de Do est le modèle, notes qui entretiennent entre elles des rapports particuliers :- Les écarts « musicaux » entre les notes ne sont pas tous équivalents. En musique occidentale, le plus petit écart musical utilisé est le ½ ton.
Voici quels sont les écarts musicaux entre les notes de notre gamme de Do :
- Lorsque l’on utilise ces notes dans le but d’écrire une mélodie, elles exercent entre elles des phénomènes de tension et de détentes qui tendent à « imposer » à l’oreille l’utilisation de certaines d’entre elles plutôt que d’autres. La première de ces notes de la gamme (appelée tonique) et la cinquième (appelée dominante) jouent un rôle fondamental.
Voici une mélodie de 5 notes jouée en partant de la tonique. Les quatre premières sont toujours les mêmes : I III V VI (les chiffres romains représentant la position de la note dans la gamme, I est la première note, III est la troisième etc.)
Seule la dernière note jouée change. Ecoutez les effets produits :
La dernière note jouée est la note de degré I
La dernière note jouée est la note de degré II
La dernière note jouée est la note de degré III
La dernière note jouée est la note de degré IV
La dernière note jouée est la note de degré V
La dernière note jouée est la note de degré VI
La dernière note jouée est la note de degré VII
Certaines lignes mélodiques donnent la sensation d’une phrase mélodique complète, tandis que d’autres appellent une suite ou bien encore ne donnent pas le sentiment d’une mélodie mais d’une simple suite de notes sans cohésion.
Afin d’enrichir, d’élargir l’univers musical, des compositeurs tentent de dépasser ce système. Claude Debussy fit usage de gammes dont les notes sont séparées par des tons entiers et non des demi-tons.
Voici un exemple de gamme de 6 notes, toutes séparées par un ton entier.
Ecoutez l’effet produit.
On entend nettement des montées et descentes de notes d’une telle gamme dans le morceau suivant.
Claude Debussy – Images - Cloches à travers les feuilles - John Anderson
Enregistrement libre de droits
Ravel n’hésitait pas à faire appel aux dissonances, c’est-à-dire à jouer ensemble des notes dont l’association n’est pas considérée comme harmonieuse dans le système tonal.
Maurice Ravel – Valses nobles et sentimentales – Thérèse Dussaut
Enregistrement libre de droits
Des compositeurs avaient auparavent fait usage de notes appartenant à des tonalités différentes, tels que Beethoven, Wagner, Liszt, mais comme un simple élargissement des possibilités de composition de la musique tonale. Au XXème siècle des musiciens font appel à la polytonalité, c'est-à-dire à l'utilisation simultanée de notes appartenant à des tonalités différentes.
Explication de la polytonalité
Première phrase de Frère Jacques jouée dans le ton de Do majeur
Seconde phrase de Frère Jacques jouée cette fois dans le ton de Sol majeur
Voici l’effet obtenu en jouant ces deux phrases dans ces deux tonalités différentes en même temps
Igor Stravinsky y aura recours de façon plus novatrice, jusqu’à la dissonance. La polytonalité sera théorisée et utilisée largement par Darius Milhaud.
Darius Milhaud - Le Carnaval d'Aix, Fantaisie pour Piano et Orchestra
Schönberg et ses élèves Berg et Webern avec lesquels il formera ce qu’on appellera la seconde école de Vienne (en référence à la première école de Vienne constituée de Haydn, Mozart et Beethoven), chercheront à s’émanciper complètement du système tonal. Ils remettent en cause la hiérarchie entre les notes pour considérer chacune d’elle comme aussi importante que les autres. Ils aboutiront au dodécaphonisme et à la musique sérielle. On parlera dès lors de musique atonale.
Dodécaphonisme et musique sérielle
Nous avons vu dans la partie "Complément sur le système tonal" que la gamme de Do est constituée de 7 notes ayant des écarts musicaux inégaux. Si l’on reconstitue cette gamme en partant de la seconde note de la gamme, Ré, et en conservant les mêmes écarts entre chaque note, on crée la tonalité de Ré. Il faudra pour cela créer de nouvelles notes, éloignées d’un demi-ton de celles que l’on utilise dans la gamme de Do. Pour indiquer que l’on augmente une note d’un demi-ton, on utilise le symbole # (dièse). Pour indiquer que l’on baisse une note d’un demi-ton, on utilise le symbole b (bémol). Pour la tonalité de Ré nous aurons donc besoin d’un Fa# et d’un Do# comme on le voit ci-dessous :

Tonalité de Ré

On peut ainsi constituer la gamme des notes nécessaires à toutes les tonalités. Changer de tonalité sert par exemple à adapter une mélodie à un instrument de musique spécifique, ou aux capacités vocales d’un chanteur pour lequel cette mélodie serait trop grave ou trop aiguë. On s’aperçoit que pour écrire n’importe quelle mélodie dans n’importe quelle tonalité, il suffit de 12 notes :
Do, Do# (ou Réb ), Ré, Ré# (ou Mib ), Fa, Fa# (ou Solb ), Sol, Sol# (ou Lab ), La, La# (ou Sib ), Si, Do
Cet ensemble de notes s’appelle la gamme chromatique. Elle est visualisable sur le clavier d’un piano, sur lequel les touches blanches représentent les notes Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si et les touches noires les notes intermédiaires situées à un ½ ton : Do# (ou Réb ),Ré# (ou Mib ), etc. Lorsque que l’on écrit une musique dans une tonalité, on n’a pas besoin de toutes ces notes, 7 suffisent. Les autres ne sont là que comme réserve de notes pour jouer la musique dans une autre tonalité.
Schönberg décide de ne plus utiliser les notes en fonction des tonalités, mais d’utiliser toutes les notes de la gamme chromatique en considérant chacune d’elle comme aussi importante que les autres. C’est pourquoi l’on parle de dodécaphonisme, étymologiquement le préfixe dodéca signifiant 12.
Arnold Schönberg – Pierrot lunaire
Plus tard Schönberg ira encore plus loin en édictant des règles d’utilisation de ces 12 notes (ou une partie de ces 12 notes) dans la composition musicale : chaque note ne devra être réutilisée qu’à la condition d’avoir auparavant utilisé chacune des autres. On parlera alors de musique sérielle puisque l’on doit utiliser les notes par séries.
Arnold Schönberg – Suite pour piano op. 25
Influence des musiques diverses
En Europe centrale et de l’Est, en Europe du Nord, en Espagne de nombreux compositeurs se sont tournés vers le folklore et la musique traditionnelle de leur pays pour y puiser des sources d’inspiration. La musique occidentale s’est ainsi ouverte à d’autres rythmiques et modes. En Amérique du Nord le jazz, issu du blues, a également été source d’inspiration. De nombreuses illustrations musicales en ont été proposés dans le chapitre consacré aux écoles nationales.
Innovation dans les formes musicales
La distinction entre musique instrumentale et musique vocale, musique profane et musique religieuse, musique de chambre et musique d’orchestre ; entre les différentes formes telles qu’opéra, concerto, symphonie… n’ont plus vraiment de sens dans la musique moderne et contemporaine. Si certains compositeurs écrivent encore certaines pièces se référant à des formes classiques, la diversité, l’innovation, le mélange des genres sont tels que ces repères habituels sont devenus peu utiles.
Recherche de matériaux sonores nouveaux
Des compositeurs tentent d’innover en faisant appel à de nouveaux matériaux sonores. Diverses pistes sont explorées. Certains mettent en avant des instruments généralement utilisés en second plan dans la musique classique tels que les cuivres, les percussions.
Edgar Varès –Ionisation
On fait appel à l’utilisation d’instruments de la musique traditionnelle pour obtenir de nouvelles sonorités. Edgar Varèse recherche des matériaux sonores inédits en musique en faisant primer le son sur la mélodie, ou bien encore en utilisant un instrument électronique nouvellement inventé, les ondes Martenot. Plus tard il mêlera des bruits enregistrés sur bande magnétique à des instruments traditionnels.
Edgar Varèse –Ecuatorial
Innovation rythmique
Alors que la musique occidentale classique use généralement de rythmiques régulières, on utilise désormais des rythmiques irrégulières.
On fait appel à la polyrythmie, c'est-à-dire que l'on superpose des lignes musicales dont la structure rythmique est différente.
Complément sur les rythmiques binaires et ternaires
Une rythmique binaire est basée sur une division du temps musical en multiples de 2, tandis que la rythmique ternaire est basée sur une division du temps musical en multiples de 3.Concrètement, à l’oreille, voici ce que cela donne :
Enregistrement d’un rythme joué sur un rythme binaire
Enregistrement d’un rythme joué sur un rythme ternaire
Sur une mélodie, voici sur « Au clair de la Lune » les effets produits lorsque l’on joue sur un rythme binaire
et maintenant sur un rythme ternaire
On fait se succéder des périodes régulières et irrégulières, on use de déplacements d’accents.
Complément sur le déplacement d'accent
Pour bien comprendre les déplacements d’accents, il nous faut comprendre la notion de temps fort et temps faible. Dans la musique, certains temps sont accentués par rapport à d’autres, soit par un jeu plus intense de l’instrument, soit parce qu’ils sont perçus comme plus importants à l’oreille de l’auditeur. Lorsqu’un temps est accentué, on parle de temps fort, lorsqu’il ne l’est pas on parle de temps faible. On parle de déplacement d’accent lorsque l’on change le placement des temps forts pour les marquer sur des temps considérés comme faibles et inversement.Voici une explication sonore.
Dans l’enregistrement suivant, on entend des déplacements d’accents sur une rythmique à 2 temps : 1 et 2 et 1 et 2…
On entend d’abord l’accentuation sur les temps qui correspondent aux moments où l’on prononce les chiffres, puis l’accent est déplacé pour être marqué sur les temps qui correspondent aux moments où l’on prononce les « et », et ainsi de suite alternativement.
Voici la forme d’onde de l’enregistrement lorsque l’on accentue les temps correspondant aux moments où l’on prononce les chiffres:

Sur ces images les temps forts et faibles sont visuellement perceptibles.
Béla Bartók – Allegro Barbaro (sz.4)
Le Néo-classicisme
Autour des années 20, en réaction au romantisme et au dodécaphonisme, des compositeurs se tournent vers la musique des périodes antérieures au romantisme pour y rechercher de nouvelles inspirations. Il ne s’agit pas de « copier » la musique telle qu’elle était mais d’en reprendre certains aspects pour les exploiter. Ce mouvement, que l’on appelle néo-classicisme, n’est pas homogène car c’est un mouvement en réaction qui emprunte des directions très différentes selon les compositeurs.
Quelques compositeurs et leur apport
Il convient de ne pas enfermer les compositeurs de la période moderne dans un genre précis, nombre d’entre eux s’étant essayé à différents genres au cours de leur vie. Schönberg par exemple a connu une période post-romantique avant de s’intéresser à l’atonalité puis à la musique dodécaphonique et sérielle. Stravinsky a connu une période néo-classique après s’être intéressé à la polytonalité et avant de se tourner vers la technique sérielle à la fin de sa vie.
Par ailleurs, même si les écoles nationales sont une réalité, beaucoup de musiciens ont été élèves de compositeurs d’autres pays ou régions du Monde, et les influences internationales sont fréquentes. Ravel a ainsi été beaucoup influencé par la musique espagnole, le jazz a beaucoup inspiré les compositeurs français.
Russie
- Igor Stravinsky a marqué le début du XXème siècle par son œuvre écrite pour un ballet, « Le sacre du printemps », qui fit scandale parce que certains considéraient cette musique, très innovante pour l’époque, comme une musique « sauvage ». Il a apporté la polytonalité, une approche rythmique nouvelle, mis en avant des instruments utilisés plutôt en second plan dans la musique classique.
- Sergueï Prokoviev, Dimitri Chostakovitch.
Autriche
Arnold Schönberg et ses élèves Berg et Webern nous ont apporté l’atonalité, puis le dodécaphonisme et la musique sérielle.
Allemagne
- Carl Orff, qui s’est beaucoup intéressé à la pédagogie musicale, s’est inspiré de sujets antiques et de musique médiévale.
- Kurt Weill, influencé par le jazz.
- Paul Hindemith, Karl Amadeus Hartmann.
Europe de l’Est
- Les Hongrois Béla Bartók et Kodaly ont apporté à la musique classique moderne des modes musicaux et des rythmiques empruntées à la musique traditionnelle de leur pays.
- Le Tchèque Bohuslav Martinú.
- Le Roumain Georges Enesco.
France
- Claude Debussy a apporté des modes musicaux nouveaux. Sa musique a été qualifiée d’impressionniste en référence au mouvement impressionniste dans le domaine de la peinture, caractérisé par la volonté de mettre l’accent sur les impressions.
- Maurice Ravel, qualifié lui aussi d’impressionniste, a eu recours aux dissonances, a utilisé la musique tonale, la polytonalité, a emprunté au jazz
- Eric Satie a désacralisé la musique classique en affublant ses œuvres de titres humoristiques.
- Darius Milhaud a été influencé par le jazz et a théorisé la polytonalité.
- Arthur Honegger, Francis Poulenc.
Etats-Unis
- Charles Ives.
En résumé : La musique moderne, dans la première moitié du XXème siècle, se caractérise par de nombreuses innovations : - La remise en cause de la manière dont la musique était conçue jusque là conduit à la polytonalité, le dodécaphonisme et la musique sérielle. - La recherche de nouveaux matériaux sonores. - L’utilisation de structures rythmiques nouvelles ou influencées par les musiques traditionnelles. |